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Chroniques
Dura lex
film de Lev Koulechov – musique de Philippe Schœller
Composer de la musique pour un film muet n'est pas un exercice des plus simples, loin s'en faut. En acceptant de s'y frotter avec Dura lex, le film que Lev Koulechov réalisait en 1926 à partir d'une nouvelle de Jack London, Philippe Schœller, se trouvant face à l'excellence, tant dramaturgique qu'esthétique, a préféré occuper une place discrète, comme en périphérie d'un monument d'autant plus sacralisé. Au risque de paraître tranchant, mais en espérant que ces propos ne créeront pas d'ombrages, le résultat prouvera qu'une scrupuleuse humilité est sans conteste moins heureuse en la matière qu'un naïf et cordial culot.
Par ailleurs, cette attitude discrète qui refuse d'entrer dans le sujet finit paradoxalement par nuire à la projection qui, en toute logique, n'a rien à y gagner. De fait, l'errance anodine dans l'univers restreint de la partition, un univers d'ailleurs intimement lié à cette inertie terrible de la situation dans laquelle finiront par se trouver les gardiens d'un assassin – emprisonnés par l'emprisonnement, en quelque sorte, les éléments se conjuguant alors pour surenchérir les circonstances humaines –, contrarie si bien l'ancrage du drame qu'il arrive que rit une partie du public aux moments les plus tragiques. D'abord, l'on s'interroge : est-ce que ce cinéma, avec ses mines expressionnistes auxquelles nous ne sommes plus habitués, est à ce point désuet qu'il serait devenu impuissant à ravir l'affect du spectateur ?
Pourtant, si c'est le cas, comment se fait-il que ce même cinéma, avec ses codes, ses excès, ses gestes, ses contrastes et ses symboles, continue, en d'autres contextes, de concerner, voire de bouleverser ? C'est à considérer l'exercice même qu'il eût fallu songer avant de s'y livrer. À l'évidence, comme un poème, un tel film demande qu'on l'analyse et qu'on l'interprète. Cela implique de se passionner pour les énigmes posées par une première visualisation et de chercher une réponse dans une nouvelle création, autant investie que toute autre.
Ainsi, en fait de timidité, il ne s'agit peut-être que de tiédeur. Très tôt, l'oreille fait donc abstraction du travail de Schœller, imaginant un autre climat sonore à la projection, celui du vent, du bris des glaces, des voix des protagonistes, toutes choses que l'image parvient aisément à faire entendre.
BB